Sécurité sans hiérarchie
Scrappy Capy Distro
Cette brochure est basée sur une série de conférences du même titre tenues aux convergences anarchistes de l’été 2023 à Stockholm, Ljubljana, et St. Imier. Après chaque conférence, le contenu de la brochure et de futures présentations furent améliorés par des discussions avec d’autres personnes dans la pièce. Les mots sur ces pages ne sont pas que de moi parce la connaissance n’est pas produite à partir de rien mais est plutôt synthétisée à part de nos expériences et interactions passées avec les autres. Nous apprenons ensemble, pas seules.
Traduction par leuk. luckyleuk.noblogs.org
Cette brochure a été traduite en français avec des pronoms neutre (iels/elleux, iel/ellui, etc).
Les discussions sur la Culture de la Sécurité tendent à se focaliser sur les manières de rejeter les indics/infiltré·es ou d’éviter la surveillance. Nous avons des plans sur comment ne pas se faire enregistrer ou laisser des traces et preuves quand nous agissons, et nous avons nos rituels pour garder les infiltrés à distance ou les faire sortir quand ils se présentent. Ces discussions sont souvent moins basés dans les réalités matérielles de la répression que dans la mise en conflit de différentes approches dogmatiques de la sécurité l’une contre l’autre. Quand la culture de la sécurité est discutée de manière plus large, on tends à se demander « est-ce qu’on en fait assez ? » On exhibe des brochures ou on fait des ateliers qui sont instructifs sur comment faire « plus de sécurité. » Plus de sécurité, moins de téléphones. Plus de secrets, moins de fuites. Il y a un manque de réflexion sur comment l’application actuelle de la sécurité pourrait nuire aux individus et au mouvement dans sa globalité.
Toutes les manières bénéfiques à travers lesquelles on applique la culture de la sécurité sont accompagnées de certaines applications pathologiques. Parfois elles arrivent par accident à travers l’addition d’actions de bonne-foi dont la somme mène à des comportements indésirables. D’autres fois une culture de la sécurité peut-être détournée par des Créatures Horribles[1] qui arpentent nos scènes/milieux et ne visent pas à abolir le pouvoir qui pèse sur les autres mais plutôt à grimper l’échelle sociale et à s’approprier la plus haute position pour elles-mêmes, et nous devons aussi prendre en compte comment ceci va construire nos normes.
Ce qui suit est une discussion critique des manières que nous appliquons la culture de la sécurité pathologiquement/maladivement. La chose qui est sensée nous protéger de maux externes peut devenir l’instrument de maux et être une force perturbatrice elle-même. Quand on ne fait pas gaffe on peut accidentellement renforcer des hiérarchies existantes ou même en créer de nouvelles.
Sur les cultures de la sécurité elles-mêmes
De quoi parle-t-on quand on dit culture de la sécurité ? Il y a beaucoup de manières de la définir, et certaines personnes ressentent le besoin d’en faire ressortir les aspects les plus positifs, mais pour l’instant il est plus utile d’y penser en terme de comment les gens utilisent réellement le terme plutôt que comment ils devraient l’utiliser. Une définition qui est assez large pour être applicable à ses applications bénéfiques et à ses applications pathologiques serait : une culture de la sécurité c’est l’ensemble de pratiques et normes qui sont présentées comme protégeant un groupe de la répression et de la perturbation (venue de l’extérieur).
En 2004, CrimethInc. a publiée le texte encore pertinent « Cultures de la sécurité ». Leur première thèse sur les cultures de la sécurité était :
Personne ne devrait être mis au courant d’une information sensible s’ille n’a pas besoin de la connaître, tel est le principe central de toute culture de la sécurité, le point sur lequel on n’insistera jamais trop.
Peu importe l’intention initiale ou à quel point ça représentait fidèlement les pratiques des années précédentes, elle est devenus une sorte d’édit dans les cercles anarchistes. Cette citation revient dans les textes anarchistes, discussions en ligne et hors ligne, et même dans les memes qu’on voit passer. Ou peut-être que cette citation est populaire parce que les pratiquant·es modernes de la culture de la sécurité trouvent qu’elle reflète leur approche du sujet. Dans tous les cas la culture de la sécurité est souvent vue comme une question de contrôle sur le flux d’information.
Cette approche fait sens parce que nous essayons souvent de faire en sorte que des informations confidentielles ne soient pas exposées à des ennemis. Une manif sauvage nécessite que les flics ne soient pas au courant de son existence avant qu’elle ne commence si elle veut avoir un peu de succès. Les identités des individus qui ont pris part à une action directe devraient demeurer indéfiniment cachées.[2]
Nous sommes, cependant, toujours en train de gérer des degrés variés d’incertitude. Parce que nous n’avons pas une connaissance parfaite des gens autour de nous, on ne peut pas être absolument sûrs qu’il est safe de leur dire quoi que ce soit. Quelqu’un pourrait être un·e opportuniste qui vendra ses « camarades » à la première occasion qui lui assure un bénéfice en échange. Un·e camarade qui est 100% solide aujourd’hui pourrait changer d’idéaux demain. Mais aussi, nous ne pouvons pas savoir à l’avance qui craquera — y compris nous — sous la coercition, qu’il y ait torture ou non. Ou encore nous ne savons pas qui est ou n’est pas juste un·e infiltré·e des flics. Ceci n’inclue même pas les manières que l’information a de fuiter accidentellement à travers des conversations enregistrées subrepticement ou des communications électroniques interceptées. On anticipe en coupant le flux vers l’extérieur pour qu’il ne fuite pas encore plus. Mais on ne saura jamais de manière certaine qui est « sûr·e » et « pas sûr·e », safe ou pas safe.
Le contrôle des flux d’information est un cas spécifique du phénomène général d’une culture de la sécurité utilisée pour contrôler l’accès aux ressources. Nous avons peur des renseignements accumulés par un·e infiltrateur·ice, mais nous avons aussi peur du dommage fait par un·e saboteur·e de la police, un élément perturbateur qui est là pour dérailler nos projets ou un·e abuseur·e qui cause de grands problèmes et nous démoralise. On pourrait restreindre l’accès à des réunions ou événements sociaux, mêmes informels, aux gens basés sur si iels atteignent un certain nombre de critères de confiance ou de sûreté présumée. On pourrait empêcher des collectifs inconnus utiliser les espaces qu’on contrôle, et on pourrait refuser l’admission à un collectif ou groupe de travail basé sur l’évaluation que quelqu’un n’est « pas assez familier·e/habituel·le ». Cette suspicion des infiltré·es ou abuseurs crée une culture de la peur où les groupes se renferment sur eux-mêmes et tiennent les gens à bout de bras.
Le résultat de ça c’est un seuil de confiance nécessaire plus élevé pour pouvoir s’engager dans le moindre militantisme. La culture de la sécurité dans ces cas-là devient moins une question d’analyse de quelle information devrait rester privilégiée (secrète) ou quelles activités pourraient attirer la répression, et à la place cette méfiance mène à une contrainte de toutes informations, activités et ressources.
Sur le Pouvoir
L’anarchisme est souvent définis littéralement comme étant contre ou opposé à la hiérarchie. Pour moi, la racine de l’anarchisme c’est d’augmenter l’autonomie individuelle, et ainsi opposer la hiérarchie est une conséquence naturelle de ça. Si nous voulons de l’autonomie, ce qui se place sur notre chemin c’est le pouvoir, ou plus spécifiquement le pouvoir sur. Les systèmes capitalistes ont du pouvoir sur vous parce qu’ils vous forcent à travailler dans des jobs de merde pour survivre. Votre proprio a du pouvoir sur vous parce que le besoin de payer une rente arbitraire restreint les choix que vous feriez autrement. Une société queerphobique a du pouvoir sur vous parce qu’être forcé à rester dans le placard afin de participer à la société est une réduction de l’autonomie.
Le choix libre dépends de l’existence d’alternatives, et ceci dépends du fait d’avoir connaissance de et accès à des ressources. L’autonomie d’un fermier est augmentée par le fait d’avoir une plus grande connaissance du sol, de la météo, des techniques d’agriculture, ou même de la nutrition qui pourraient augmenter l’impact de ce qu’il décide de cultiver. L’autonomie d’une personne invalide est augmentée par le fait d’avoir accès à des technologies adaptatives, des alternatives et des substituts.
Être capable de restreindre la connaissance et les ressources c’est du Pouvoir. Et une fois formulé comme ça, il devient évident que la culture de la sécurité est — en quelques sortes — en opposition avec l’autonomie. Contrôler le flux d’information pour empêcher le renseignement hostile va intrinsèquement impliquer de manier du pouvoir sur des camarades actuel·les et potentiel·les. Contrôler l’accès à des ressources — des espaces physiques, équipements, l’utilisation d’une plateforme — est encore une fois un maniement du pouvoir. Ces deux cas restreignent l’autonomie d’autres personnes, même si la culture de la sécurité augmente l’autonomie de tous le monde d’autres manières, par exemple en permettant l’action ou en empêchant l’emprisonnement. La connaissance nous donne plus de choix et ainsi plus d’autonomie.
Ceci ne veut pas dire qu’il nous faut abandonner les pratiques de la culture de la sécurité pour adhérer à une définition stricte d’augmentation de l’autonomie individuelle. Il s’agit simplement de pointer du doigt qu’il y a une tension entre la création préfigurative de l’autonomie et le besoin de nous protéger des menaces à notre capacité à militer. La culture de la sécurité implique en partie de manier du pouvoir sur les autres, et nous devons le reconnaître et faire ce que nous pouvons pour en minimiser les effets négatifs et à quel point on l’utilise ou en tout cas faire en sorte que chaque cas présente une bonne justification.
Les pathologies
Ce qui suit est une description des quelques manières générales que des cultures de la sécurité sont appliquées de manières pathologiques.
Pathologie 1 : renforcer les préférences de l’endogroupe
La première application pathologique de la culture de la sécurité c’est quand elle est utilisée pour créer, renforcer, et justifier des préférences pour un endogroupe.[3]
Il y a une confusion qui est faite entre « sûreté » et « sécurité » pas juste en termes d’intention mais dans comment les mots sont utilisés. La différence entre ces deux mots est bien plus évidente en anglais qu’en allemand où les deux sont regroupés sous Sicherheit. Leur utilisation en allemand fait que « sécurisé » signifie le fait d’être dans un état de protection actuelle, ou en tout cas pertinente aux dangers originaux. Tandis que « sûre » ou safe signifie être libre de toute choses qui causent un sentiment d’être blessé ou heurté (réellement ou perçus comme tel) même si parfois c’est utilisé pour signifier le fait d’être libre d’un inconfort psychologique ou émotionnel. Cette confusion mène à des accusations de lacunes de sécurité à cause d’un sentiment d’absence de sûreté.
On a pas confiance dans des nouvelles personnes parce qu’elles ne nous sont pas familières. Parfois elles sont un tout petit peu différentes et qu’on aime pas leur énergie. Peut-être que c’est parce qu’elles sont socialement gênées ou gênantes, neurodivergentes, viennent d’un milieu culturel différents, ou passent juste une mauvaise journée. Les gens nouveaux qui ne partagent pas les traits de, ou n’adhèrent pas aux normes de, notre sous-culture sont vu avec plus de scepticisme, si leurs vêtements ne sont pas assez punk ou que leurs intérêts et hobby ne sont pas les mêmes que les nôtres. Parfois la culture de la sécurité est utilisée comme un signal d’appartenance au même milieu, et si quelqu’un pense à poser la mauvaise question de manière honnêtement curieuse, iel perds un peu de son statut ou pourrait même se faire mousser. La Culture de la Sécurité est moins utilisée comme outil pour augmenter la sûreté que comme signal que quelqu’un fait partie de la clique.
Les gens utilisent la fréquence et la familiarité comme base pour construire de la confiance et oui, les conversations dont on a besoin pour découvrir si on a des politiques partagées sont importantes, mais il est souvent suffisant que quelqu’un ait été à assez d’événements pour établir une certaine crédibilité. Des chemins de vie variés voire même des handicaps peuvent faire de la régularité une difficulté et cette méthode pour établir de la confiance, comparée à juste faire des vérifications explicites d’antécédents, favorise les gens qui vont se conformer au stéréotype du punk anar plutôt que les gens qui pourraient être politiquement anar mais qui ont un style de vie différent. Généralement ceci crée une barrière entre les gens qui sont déjà connecté à « la scène » et ceux qui ne le sont pas. Celleux qui ont des connexions ont plus facilement accès aux espaces, ressources et soutiens. Celleux qui ne les ont pas… ne les ont juste pas.
La libre association est fondamentale à l’anarchisme. Si quelqu’un ne veut honnêtement pas s’associer à quelqu’un d’autre, c’est ok, et iel a le doit de créer cette séparation, mais nous savons aussi que nous vivons dans un monde de merde de sexisme, racisme et autres, donc il faut quand même qu’on vérifie de manière constante nos préférences pour voir si on est pas en train d’exprimer un biais qui est si profondément internalisé qu’on ne le perçoit même plus. De plus, on ne tolère pas la création d’enclaves ségréguées selon des critères de race, au sens où : certaines formes d’inclusion/exclusion sont considérées comme assez nocives pour être combattues. On doit faire gaffe à qui obtient les maigres privilèges que notre mouvement permet. Trop souvent on ne se connecte qu’aux gens qui sont déjà « comme nous », et on utilise la connaissance pré-existante de la culture de la sécurité comme un filtre. Les gens pas comme nous se retrouvent refusé l’accès à des ressources ou informations utiles.
Pathologie 2 : permettre l’abus
Tout comme avec la favorisation d’un endogroupe, une culture de la sécurité peut-être utilisée pour faciliter l’action d’abuseurs. Ceci se produit souvent quand quelqu’un dans un groupe est called-out pour un comportement problématique, surtout dans les cas d’accusations plus sérieuses comme la violence ou l’abus sexuel. La personne qui porte l’accusation pourrait ellui-même être accusé·e d’être en réalité un·e infiltré·e ou agent·e perturbatrice qui crée des fausses accusations afin de perturber le groupe. La culture de la sécurité en jeu est alors pervertis, d’une analyse des conditions et actions, en une pure réaction à l’encontre de tout ce qui perturbe la stabilité du groupe. Ce qui renverse la relation entre noter que des infiltrés vont amener leur lot de perturbations, à affirmer que tout ce qui perturbe le groupe doit forcément être un·e infiltré·e. La stabilité et longévité du groupe — et souvent de ses membres les plus prestigieux·es — est alors protégée et priorisée par rapport à la personne qui est en train de porter des accusations. Ceci est généralement en alignement avec qui est actuellement privilégié et favorise, par exemple, les hommes cis blancs.
L’accusé·e et ses défenseurs vont affirmer que l’accusation est un tort parce qu’elle est fausse, et il est facile pour elleux de pointer envers la « certitude » du tort que l’accusé·e affirme vivre. Le groupe avait l’apparence de la stabilité avant que l’accusateur·ice ne relève l’abus. L’accusé·e se sent attaqué et le groupe doit changer son focus, de ses tâches primaires, en direction d’une gestion de l’accusation, et ainsi il y a « perturbation ». Ceci est désigné comme « évidemment mauvais et perturbateur », et les affirmations de l’accusateur·ice doivent être plus rigoureusement prouvées. La perturbation est nommé comme étant en réalité le fait de l’accusateur·ice, et pourquoi est-ce qu’iel ferait ça s’iel était vraiment la personne dans une situation de non-sûreté ? Et ainsi ellui est rejeté et calomnié.[4] Ou, pour citer Sara Ahmed comme elle le disait dans The Complainer as carceral feminist : « localiser un problème c’est devenir la localisation d’un problème ».
Cette permission de l’abus va au-delà d’une protection explicite de l’abuseur·e-même. Elle est souvent reproduite par le milieu plus généralement. En tant qu’anarchistes nous ne devons pas seulement refuser de coopérer avec la police : nous devons aussi prêter attention à ce que nos actions ne les aident pas. Ceci crée une pression interne contre le fait de rendre publique l’action d’un·e abuseur·e. Elle pourrait retarder un call-out ou restreindre ce qui y est dit pour rendre une identification de l’individu en question plus difficile. On veut pas que la police apprenne les schismes à l’intérieur du mouvement, et vu qu’on ne veut pas procurer des éléments qui permettrait de doxxer un·e « camarade » aux flics ou aux fachos, on en dit le moins possible. Les whisper networks et listes noires semi-privées plutôt que les posts publics ou affiches collées aux murs essayent de manœuvrer autour de ce problème, mais ces tactiques privilégient les gens qui savent déjà ce qu’il se passe. Les personnes nouvelles au milieu sont bien moins protégées par ces méthodes. Même juste faire un call-out vague ou utiliser des whisper networks peut être taxé de violation de la culture de sécurité parce que ça expose des informations internes « privées » à des gens qui n’ont pas la permission de les voir. Dans les pires des cas, les activistes anti-abus peuvent volontairement retenir de l’information critique à propos d’un·e abuseur·e violent·e parce que prévenir des gens reviendrait à lea doxxer.
Dans ces cas-là, même des camarades bienveillant·es peuvent prioriser la sûreté de l’abuseur·e par-dessus celle d’autres camarades ou potentielles futures victimes. Ce qui n’est pas considéré c’est que le risque que l’abuseur·e récidive est bien plus important que le risque d’une réponse de l’état à la publication de cette information, et de plus que quelqu’un qui a intentionnellement causé des tort a abandonné son droit à une protection illimitée. Ces personnes sont le danger dont nous devons nous protéger.
Pathologie 3 : la recherche de notoriété
Bien qu’on — surtout les anarcha-féministes — tient pour idéal que toutes les formes de labeur à l’intérieur du mouvement anarchiste devraient être valorisées, il ne fait aucun doute qu’il y a une hiérarchie où les personnes qui participent à des actions directes violentes sont tenues en plus haute estime que les personnes qui ne le font pas. Ceci vient en partie du fait que les gens qui vont prendre plus de risque sont vu comme plus « dédié·es » à « la cause » ou comme étant de meilleur·es allié·es ou complices. C’est vrai dans une certaine mesure étant donné que l’inverse est vrai : les gens qui n’osent pas s’exposer au moindre risque tendent à être des camarades peu fiables.[5]Ce qui résulte de ça c’est qu’on finit par donner du capital social aux gens qui font de l’action directe ou prennent des risques, peu importe à quel point ceux-ci sont raisonnables. Cependant ça nous amène à une série de sauts logiques où on part du principe qu’il y a une causalité entre dévouement, prise de risque, et un besoin de sécurité qui est bien plus prononcé que nécessaire.
Une grande part de la culture de sécurité c’est les deux jamais[6] :
Ne jamais parler de votre intérêt (ou celui de quelqu’un d’autre) pour une activité qui risque d’être criminalisée. Ne jamais parler de l’intérêt de quelqu’un d’autre pour une activité criminalisée.
Ceci veut dire que l’on ne sait pas ou en tout cas ne devrait pas savoir qui est prétendument en train de faire des trucs trop cool et les gens savent qu’iels ne devraient pas se nommer comme étant des gens qui font ou ont fait des trucs trop cool, donc on cherche les gens qui sous-entendent qu’ils le sont. On cherche les gens qui font tout un cinéma de leur culture de la sécurité à travers de la vantardise indirecte.
La vantardise indirecte c’est quand quelqu’un ne dit pas directement qu’iel fait des trucs criminels, mais fait tout pour que les gens partent du principe qu’iel le fait. Après une grande action, les gens pourraient dire qu’iels y sont allé vu que c’est ce qu’on attends des radicaux dans une scène, mais les vantards-indirects vont faire tout un cinéma de dire qu’iels ne peuvent pas parler de si iels y étaient ou pas (au lieu de juste dire « nan j’était à la maison »). Plus généralement, iels pourraient faire peser le fait qu’iels ne peuvent pas parler du type de militantisme qu’iels font ou où iels étaient ce week-end. Les gens font des « oohh » et des « aaah » devant tout ça et leur donne la notoriété qu’iels cherchent désespéramment. Parce qu’on ne sait pas à la fin qui fait des trucs, on finit par applaudir les gens qui suggèrent être celleux qui les ont fait.
Ce comportement nourrit et renforce la suprématie de l’action directe violente dans les milieux anarchistes. Elle crée une hiérarchie de statut où des gens — de manière pertinente ou non à si iels ont réellement fait des trucs — peuvent s’élever au-dessus des autres. Une élite sociale peut se développer en s’emmitouflant dans une culture de la sécurité agressive.
Pathologie 4 : se faire gardien des ressources
Dans un contexte de répression sévère, l’utilisation de structures en cellules devient nécessaire à cause de la réponse draconienne contre les anarchistes et autres activistes. Cette structure en cellule est rarement nécessaire, et pourtant nous l’appliquons au-jour-le-jour dans le militantisme, sous des « démocraties libérales » largement permissives.
Une part de la culture de la sécurité c’est que tous le monde choisit son niveau de risque et que tous le monde a permission à consentir à des risques et à quelles informations peuvent être partagées à propos d’elleux. Ceci inclue le fait de partager un numéro de téléphone et une adresse mail. Naturellement si quelqu’un demande les informations de contacts de quelqu’un d’autre, on ne devrait pas les donner sans un consentement explicite. Cette norme est bonne et saine.
Ce qui peut souvent se passer c’est qu’une personne se fera intermédiaire entre multiples collectifs ou même cercles sociaux. Ceci permet à la personne d’intermédier toutes les interactions et même de restreindre l’accès entre les collectifs. Ceci fait de ce·tte gardien·ne une instance centralisée dans toutes les interactions et font qu’ellui sera amené dans tous les cercles d’organisations futurs car iel s’est rendus irremplaçable. Ceci peut devenir un élément important des décisions par exemple quand il faut décider si on peut lea virer du collectif ou non. En évitant de se rendre redondant, iel augmente son importance et peut affirmer qu’iel ne peut pas être rendu redondant car cela impliquerait de partager des informations privées ce qui enfreint la culture de la sécurité établie.
Dans certains cas mais pas tous ce désir d’être irremplaçable n’est pas produit par une soif du pouvoir mais plutôt par une peur d’être remplacé. L’anxiété est présente dans nos scènes, et la précarité financière et la censure sociale sévère pour des transgressions mineures augmentent la peur du rejet et de l’abandon.[7] Certaines personnes se positionnent dans des rôles critiques pour créer un sens d’assurance que le groupe ne peut pas les jeter dehors.
Une deuxième manière pour les ressources d’être restreintes comme ça c’est comme effet secondaire de rendre une scène opaque et illisible à l’état.[8] L’information relative à des événements n’est pas rendue publiquement accessible, et des activités qui ne sont pas hautement réprimées par l’État voient tout de même leurs détails fortement protégés. Ce qui rends cette scène illisible va aussi la rendre inaccessible à des gens qui voudraient nous rejoindre.
Cette forme de gatekeeping est très proche des questions de préférences pour un endogroupe mais fonctionne différemment. Les préférences explicites pour un endogroupe encouragent à émettre un jugement sur une personne quand elle se présente et a ensuite utiliser ça pour lui refuser de l’accès. Cette illisibilité et opacité est une préférence implicite pour l’endogroupe car elle dissuade fortement les gens qui ne sont pas déjà suffisamment connecté à une scène, et ne sont ainsi pas dans la boucle d’accès direct à cette information.
Pathologie 5 : la connaissance ésotérique comme pouvoir
La répression est enveloppée dans un manque d’information, et les gens qui peuvent « voir » ce que l’État (ou d’autres agents) fait détiennent une sorte de connaissance ésotérique que le reste d’entre nous n’ont pas. Parfois elle n’est pas facilement directement partagée parce qu’elle vient uniquement avec un certain degré d’expérience ou de connaissance experte, même si certaines personnes essayent de partager le plus possible. Une des formes les plus « invisibles » de répression c’est celles qui touchent aux technologies de l’information. On ne peut pas « voir » nos messages voyager à travers l’internet, et on ne peut pas non plus « savoir » qu’ils sont cryptés. On ne peut aussi pas « voir » qu’on a été hacké ou quelles données l’État récolte sur nous de la même manière que l’on peut voir les bottes marcher dans les rues ou défoncer des portes pendant des descentes. En partie c’est à cause de la nature ésotérique de tout ça, et aussi des règles qui permettent aux systèmes d’information d’opérer, il y a tendance à y avoir des édits beaucoup plus fermes et directs à propos de la sécurité digitale par rapport aux aspects sociaux de la Culture de la Sécurité.[9]
Dans bien des cas, une sorte d’élite de nerds peut émerger dans les cercles anarchistes. Elle fait des demandes à propos de la sécurité, et fout la honte aux personnes qui ne les suivent pas (ou ne peuvent pas les suivre), et parce que ces spécialistes détiennent des connaissances sur ces systèmes, iels l’utilisent souvent pour s’élever au-dessus des autres. Souvent implicitement, mais parfois explicitement, l’idée est que les personnes qui en savent le plus sur la sécurité devraient leaders, organisateurs, ou les gens qui prennent les grandes décisions. Au lieu de la sécurité comme effort collaboratif entre égaux qui ont différents niveaux d’expertise et d’expérience, lea nerd assoie son autorité sur les autres.
Ceci n’est pas limité aux nerds mais peut aussi juste venir de personnes qui parlent beaucoup de sécurité. Il y a une mystique et un rituel dans la sécurité, et les gens qui l’ont mémorisé le mieux et qui crient le plus fort pour sa mise en place peuvent souvent être les gens qui vont ensuite essayer de se placer en leaders. Ceci est également généralisé pas seulement à la sécurité mais à la perception de la sûreté. Il y a un phénomène bien documenté où des individus qui ont la position la plus conservatrice sur un sujet vont être les conducteurs de la conversation et on peut voir ça dans des débats comme « est-ce que c’est enfreindre le consentement que de s’habiller de manière kinky à la gay pride ». La personne exigeante pourrait placer un veto sur le consensus pour s’assurer que ses besoins sont atteints et que le groupe adhère à ses standards. Au lieu d’être un effort collaboratif de tous le monde pour augmenter la sécurité collective, l’action du groupe tourne autour de l’expert autoproclamé. Même avec les meilleures intentions ou quand iels sont justes, la personne qui insiste pour avoir le plus de sécurité peut dominer le groupe simplement en imposant aux autres des standards de sécurité inatteignables.
Une domination similaire à travers la connaissance experte pourrait se produire avec d’autres formes de mesures anti-répression comme la contre-surveillance ou l’assistance légale, mais je n’ai pas encore vu ça et c’est assez spécifique à comment les nerds et enthousiastes de la sécurité interagissent avec la culture de la sécurité.[10]
Les propositions
La manière la plus simple de tenter d’appliquer la culture de la sécurité est de la baser autour d’un contrôle sur l’accès aux ressources. Un « non » général est une réponse simple, et une fois qu’un petit groupe est établis, s’attacher à une dynamique insulaire est le chemin de moindre résistance. Il donne un fort sentiment de sûreté et même d’importance en nous donnant l’impression que nos pratiques de sécurité strictes nous rendent pertinents. Mais il y a peut-être des manières de briser le cycle et de trouver une voie collaborative vers une culture de la sécurité plus inclusive.
Proposition 1 : accepter l’inconfort
Il n’y a pas d’anarchisme singulier, et il n’y a pas non plus d’utopie où nous ne vivrons pas de détresse ou d’inconfort. Nous serons toujours exposé·es aux autres et à leurs idées, normes et pratiques culturelles différentes. Il ne sera jamais possible de créer un endogroupe libéré de tout inconfort, et ça inclue les gens qui pourraient être des allié·es mais n’ont pas encore appris — ou retenus — notre vocabulaire rapidement changeant dont le but est de réduire les souffrances. Il peut y avoir des endroits où cette méthode est nécessaire pour le travail tel que les groupes de soutiens autour du trauma, mais ça ne devrait pas être le mode par défaut de tout le militantisme.
On devrait éviter d’étiqueter quelqu’un comme « pas sûr·e » ou dangereux·e juste parce qu’on a des désaccords tout à fait sains avec ou parce qu’iels ont fait des erreurs dans leur apprentissage. Rejeter les gens pour des différences perçues ou même anticipées peut-être nommé « sécurité » mais souvent c’est juste de l’exclusion au nom de l’homogénéité. Certaines personnes contrastent l’approche de construction d’espaces plus braves (des espaces qui reconnaissent que le conflit existera et qui promettent de travailler à le résoudre) avec le fait de créer des espaces plus safe (ceux qui veulent minimiser l’inconfort). Le but à la fin pourrait être assez similaire, mais le changement de cadrage peut drastiquement affecter les normes et dynamiques de groupe.
Proposition 2 : évaluer le risque de manière critique
Tout le militantisme anarchiste n’est pas exposé au même niveau de menace. Ceci est très clair, et ça ne veut pas dire qu’il faut abandonner la sécurité ou ne pas faire gaffe sauf pour les activités les plus risquées. Quand on sur-applique la culture de la sécurité au militantisme ordinaire, on freine des connexions nouvelles. Par exemple en rendant une scène inaccessible à des nouvelles arrivantes en mettant une emphase sur les rituels d’une culture de la sécurité ou bien en ne répandant pas les informations les plus basiques par paranoïa d’où elles pourraient finir. Ceci empêche les gens à l’intérieur d’une scène d’avoir accès à des ressources ou informations ou d’étendre leur réseau social.
Les mouvements sociaux survivent à la répression en créant des réseaux robustes. Robuste signifie que n’importe quelle coupure au réseau ne cause pas son effondrement et qu’il y a une redondance de connexions pour accéder aux ressources ou procurer de la solidarité. Bien qu’une certaine prudence soit nécessaire, nous risquons de faire du mal à nos réseaux et à nous-même en basant notre sécurité principalement sur nos peurs. Notre prudence devrait être à l’échelle de la criminalisation — présente ou future — de nos activités. Ceci signifie développer une compréhension juste de la répression à laquelle nous faisons face et nous assurer que nos cultures de la sécurité visent spécifiquement ces actions-là de l’État.
Proposition 3 : avoir des discussions intentionnelles sur la culture de la sécurité
Dans nos groupes, les discussions sur les cultures de la sécurité sont souvent limitées à des débats sur si l’application d’une règle est justifiée ou non. On évite de prêter attention à des points plus importants tels que le fait de changer des pratiques ou des comportements. Les gens ont des opinions intenses sur la sécurité et essayer de changer les pratiques des gens fait qu’iels résistent à quoi que ce soit qui pourrait sembler être une relaxation de normes. Iels insistent à perpétuer des pratiques qui produisent un sens de sûreté, et celleux qui veulent changer une pratique sont souvent moins investi·es dans le changement que les personnes qui veulent la garder telle quelle. Essayer de forcer les choses crée des divisions dans les groupes, et donc au nom de la cohérence et de l’unité, on les évite.
Cette troisième proposition est qu’on devrait forcer les choses. Éviter ces discussions et laisser des pratiques de culture de sécurité pathologiques proliférer est nocif au mouvement. Si vous vous organisez de manière informelle avec les autres, discutez de ça avec vos camarades la prochaine fois que vous vous voyez. Si vous avez des réunions formelles, faites en un sujet dans l’agenda. Si ces conversations ne peuvent pas se produire, il y a des chances que vous soyez dans un projet qui a des hiérarchies informelles fortes et ce serait sans doute mieux pour vous de le quitter.
Comme noté auparavant, la poursuite de sûreté de beaucoup de personnes est une réponse au trauma et travailler sur ce trauma peut mener à une culture de la sécurité plus saine. Il n’y a pas de remplacement à la thérapie — professionnelle ou organisée de manière autonome — mais les menaces de la répression peuvent être démystifiée par le fait d’avoir des discussions intentionnelles sur la sécurité, et ceci va de pair avec une évaluation critique du risque. Plutôt que de penser l’État comme à un spectre qui observe toutes nos actions, on peut établir pas seulement quelles menaces nous guettent mais aussi ce qu’on peut faire ensemble pour créer une sécurité réelle pour tous le monde.
Avoir ces conversations peut être éducatif dans un sens général. Ça va à l’encontre de l’autorité des nerds et enthousiastes de la sécurité par rapport aux pratiques de sécurité d’un groupe et nous permet de construire de la connaissance partagée pour qu’on puisse raisonner à travers des décisions ensemble plutôt que de nous appuyer sur les mots d’un individu seul.
Proposition 4 : dénoncer le protectionnisme
Comme élément de nos discussions intentionnelles, mais aussi chaque fois que ça se produit, nous devons dénoncer les manières qu’une culture de la sécurité a de se transformer en protectionnisme. Ceci est particulièrement difficile s’il y a déjà une culture de l’exclusion qui permet d’intensifier les préférences pour l’endogroupe. Opposer le protectionnisme qui se cache dans un culture de la sécurité commence avec le fait de changer les relations sociales sous-jacentes qu’une culture de la sécurité pathologique justifie. Changer une culture n’est pas une tâche facile, mais c’est également quelque chose que nous pouvons toustes commencer à faire en étant plus ouvert·es dans comment nous militons de manière générale. Quand une pratique de sécurité commence à tendre vers le protectionnisme ou à privilégier la préférence pour un endogroupe plutôt que la sécurité, il faut qu’on s’arrête et qu’on réfléchisse à ce qu’il se passe. Généralement des interventions spécifiques et intentionnelles sont nécessaires, et des exemples de celles-ci peuvent être le fait d’inviter intentionnellement d’autres personnes à un espace partagé ou bien à mettre en œuvre des événements dont le but est de faciliter la construction de nouvelles connexions sociales.
Proposition 5 : aller au-delà de « nous et eux »
En lien avec l’évaluation critique du risque, et peut-être l’aspect le plus important et pratique, il y a le fait qu’il nous faut aller au-delà de l’idée d’une distinction claire entre « nous » et « eux ». Une telle dichotomie faussée tends à créer un faux sentiment de sûreté où les gens du même côté de la barrière que nous sont supposément plus dignes de confiance que les gens de l’autre côté. Ceci est une heuristique fragile. Bien sûr tous le monde n’a pas des lignes aussi strictes. Dans les sphères de « nous » et « eux » il y a différents niveaux de confiance et de sûreté présumée, mais plus généralement la confiance est sur ou sous estimée en fonction d’où quelqu’un se localise par rapport à la ligne. Une manière de conceptualiser cette façon de penser à la confiance c’est d’imaginer un œuf. Il y a la coquille externe dure qui empêche de faire rentrer les mauvaises choses, mais une fois que quelque chose est rentré, elle peut facilement brouiller l’intérieur.
Une manière plus utile que ça de présenter la sécurité c’est d’imaginer des cercles concentriques qui se chevauchent. Les grands cercles qui incluent plus d’individus sont pour les grands événements militants : manifs, syndicats, ou même juste des événements comme des réunions d’information ou des séances de cinéma. Ces événements sont à faible risque, donc on a pas besoin de préparer des normes de sécurité fortes. Ces cercles larges peuvent se superposer là où des gens qui vont aux lectures de bouquin vont aussi se présenter pour aider aux soupes populaires. Il y a aussi des cercles de plus en plus petits au fur et à mesure que l’on va d’activités minimalement réprimées à des activités fortement réprimées. Le cercle devient plus petit parce qu’on a besoin d’avoir une forte confiance déjà établie ce qui prends du temps et ainsi limite le nombre de personnes qui pourraient être impliquées. Des cercles plus larges pourraient se superposer à d’autres larges cercles mais à cause du niveau de sécurité intense nécessaire, les petits cercles pourraient faire le choix intentionnel de ne pas se superposer (mais parfois ils se superposeront).
Il est important de préciser que des cercles de plus en plus petits sont imbriqués dans des cercles plus larges. Ces petits collectifs ou groupes affinitaires ne sont pas isolés du milieu plus général mais en font partie. Ceci est important parce qu’il nous permet d’intermédier le flux entre cercles de tailles différentes, des espaces de forte confiance aux espaces de faible confiance. Approfondir des relations nous permet d’approfondir notre confiance, et ceci est un critère pour passer à l’action radicale. Des groupes affinitaires isolés qui ne sont pas imbriqués dans une scène plus larges vont finir par mourir, et sans amener de nouveaux camarades ils ne se reproduiront pas. C’est une impasse pour l’anarchisme.
Au lieu de restreindre le flux d’information et de connexion, on veut encourager la superposition entre cercles. Ce qu’on veut c’est faciliter la connexion. Ça ne veut pas dire abandonner le contrôle mais plutôt guider la croissance. On veut que les camarades soient mutuellement impliqué·es et développent des connexions profondes et larges.
Une chose à préciser pour cette méthode est que dans les petites villes avec une scène limitée, surtout les villages, il pourrait ne pas y avoir une scène suffisante pour que cette stratégie fonctionne. Le manque d’anonymat par rapport à une grande ville veut dire que tous le monde sait plus ou moins ce que tous le monde fait, et deux insurrectos qui proposent la conflictualité comme stratégie seront vite connu·es comme celleux qui ont fait une action directe tout simplement parce que ce sont les seul·es qui auraient pu l’imaginer. Malheureusement je ne peux pas offrir de conseil pertinent pour modeler une sécurité de ce type étant donné que je n’ai pas assez d’expérience dans un tel contexte. Peut-être que je laisserait donc ceci comme exercice à celleux qui me lisent.
Mots de la fin
Une culture de la sécurité est nécessaire au militantisme, mais quand on ne fait pas gaffe elle peut créer des hiérarchies. Ceci émerge souvent du fait d’essayer de contrôler le flux d’information ou l’accès à des ressources, mais ça peut aussi se présenter sous la forme d’un renforcement des préférences pour l’endogroupe(*), la protection de la cohérence d’une organisation, ou le rejet des gens qui pourraient contester les structures informelles de pouvoir. Comme beaucoup de méthodes anarchistes, elles peuvent être appliqués de manière pathologiques, mal-utilisées, perverties pour servir des fins malveillantes et autoritaires. Ceci n’est pas un argument contre la Culture de la Sécurité. Mais il faut reconnaître les manières que nous avons de devoir manier le pouvoir — même un petit peu, noblement — afin de nous protéger. Le pouvoir et la hiérarchie ne peuvent jamais être totalement abolis, et nous devrons perpétuellement combattre contre eux peu importe à quel point notre monde devient utopique. Peut-être que ce texte ne devrait pas s’appeler « Sécurité sans hiérarchie » mais plutôt « Sécurité consciente de la hiérarchie », même si ça sonne pas aussi bien.
Bon, qu’est-ce qu’on fait avec ça maintenant ?
On va avoir des cultures de la sécurité, qu’elles soient principalement bénéfiques ou pathologiques va dépendre de comment on approche la question. Si on a pour intention explicite de construire des relations ouvertes et mutuelles, on pourrait finir avec des cultures de la sécurité plus saines qui contribuent à des milieux plus sains. Si on s’accroche à la tradition ou qu’on est pas capable de contrer les gens qui utilisent la sécurité comme arme, nos normes organisationnelles n’auront d’anarchiste que le nom. Il n’y a pas d’approche qui est garantie de fonctionner, et je ne peux pas prétendre de dire qu’il y a des solutions qui fonctionnent partout ou même que ces propositions fonctionnent tout court. J’ai juste vécus quelques dynamiques nocives alimentées par la sécurité ou au moins qui utilisent la sécurité comme justification. Peut-être qu’en les nommant et en décrivant leur fonctionnement, on peut tous·tes trouver des manières de contrer ces tendances de telle manière qu’on forge des connexions nouvelles et fortes qu’on peut utiliser dans notre combat pour mettre fin à la coercition.
Lectures supplémentaires
Si vous avez vu certains de ces motifs, et si vous voulez trouver des manières de mieux les comprendre et les appréhender, alors il y a quelques textes que vous pourriez considérer. Confidence, Courage, Connection, Trust: a proposal for security culture par un·e camarade anonyme est probablement le texte moderne le plus utile sur la culture de la sécurité, et il décrit des approches pour prendre une approche positive plutôt que négative de la sécurité. Stop Huntin’ Sheep: A Guide to Creating Safer Networks par Sirens of a Violent Storm offre des conseils pratiques sur comment gérer des infiltrés pour qu’on puisse arrêter de retourner la sécurité contre nous-mêmes. Secrets and Lies par Ungrateful Hyenas Editions est similaire à ce texte dans le sens qu’il décrit quelques applications pathologiques(maladives) de la culture de la sécurité, même s’il le fait depuis un angle différent.
Footnotes
Une référence au texte du même nom que je ne peux que recommander.
Ou au moins jusqu’à ce qu’il y ait prescription.
N.d.t.: « ingroup » traduit en endogroupe, désigne un groupe interne par opposition à exogroupe désignant un groupe externe. L’endogroupe c’est le groupe auquel quelqu’un appartient, avec ce que ça implique de relations, réflexes, références culturelles communes, etc. Les termes de ingroup–outgroup sont généralement utilisés pour parler du fait que l’on va traiter les gens qui appartiennent à notre endogroupe différemment des gens qui sont dans l’exogroupe : les gens de l’extérieur, les étrangers, les autres, etc.
Pour une discussion plus longue de tout ça, allez voir la brochure Trahison : une analyse critique de la culture du viol dans les sous-cultures anarchistes / Betrayal: A Critical Analysis of Rape Culture in Anarchist Subcultures.
Le risque est relatif à la situation personnelle et au contexte local de chacun·e. Se présenter publiquement comme antifasciste pourrait être plus risqué pour certaines personnes que confronter des fascistes directement ne le serait pour d’autres.
Ce terme et les Jamais eux-mêmes sont directement tirés de la brochure Confidence Courage Connection Trust : A proposal for security culture.
L’anxiété rampante en particulier dans les milieux militants est discutée dans la brochure We Are All Very Anxious: Six Theses on Anxiety and Why It is Effectively Preventing Militancy, and One Possible Strategy for Overcoming It par The Institute for Precarious Consciousness et CrimethInc.
N.d.t.: « illegible » traduit en illisible, vous aurez peut-être déjà compris le concept : être compréhensible, être quantifiable, etc. C'est dans le bouquin « l'oeil de l'état » (dispo sur ZLib) que James C. Scott a formulé le concept de lisibilité d'une population/territoire/environnement du point de vue de l'État et les manières que ce dernier pourrait tenter de contraindre la complexité de ceux-ci afin de les « rendre lisibles ». Bon bouquin.
Que des règles aussi strictes soient nécessaires ou efficaces est une toute autre question.
Cela dit la sécurité physique a la tendance à se transformer en conneries de flics et en virilisme mais j'ai établis une distinction assez arbitraire entre culture de la sécurité et sécurité physique même si les deux sont assez liées l'une à l'autre.